L'acte littéraire
et son influence sur l'écriture de l'histoire -
journée d'études organisée par le
département le 31 mars 2000
Le thème de la
journée d'études "L'Acte littéraire et
son influence sur l'écriture de l'histoire" a
été traité sous forme d'interventions,
sur la base d'un document élaboré
préalablement par le Département d'histoire
(Jean Pirotte, "Interrogations sur l'acte d'écriture
de l'histoire. Synthèse des questions des
participants ", préparation de la journée de
réflexion du 31 mars 2000, Louvain-La-Neuve, 21
janvier 2000).
Le Département d'histoire a
invité à cette occasion le Professeur Carlos
Barros, de l'Université de Saint-Jacques de
Compostelle. Après une présentation du projet
effectuée par les Professeurs Paul Servais et Jean
Pirotte, Carlos Barros a introduit les débats par un
exposé intitulé "L'écriture de
l'histoire est-elle finie ? " auquel ont réagi deux
invités, le Professeur Jean-François Gilmont,
pour les temps modernes, et Luc Courtois, Chargé de
cours-invité, pour l'histoire
contemporaine.
Les débats qui ont suivi ont
été structurés autour de trois
problématiques : la question de l'historiographie et
du positivisme, celle de la subjectivité de
l'historien et celle du rapport entre histoire et
société.
Séminaire
méthodos
Le 30 mars, Carlos Barros est
intervenu dans le cadre du séminaire méthodos
qui rassemble autour d'une problématique des
spécialistes des sciences humaines, sociales et de la
discipline historique.
Au cours de ce séminaire,
M.Carlos Barros a plaidé pour une
interdisciplinarité renouvelée. Il a
basé sa démarche sur un constat. D'une part,
actuellement, l'histoire effectue un retour en
arrière, par réaction au post-modernisme.
D'autre part, l'histoire est en miettes. Aussi, les
échanges avec les autres disciplines sont-ils moins
productifs qu'auparavant. L'émiettement que
connaît l'histoire est la conséquence de sa
spécialisation de plus en plus poussée et
celle de la remise en cause des paradigmes à partir
desquels elle a uvré jusque là. Cet
émiettement conduit à l'abandon du projet
d'histoire totale qu'elle a pu embrasser pendant un temps.
Compte tenu de la crise qu'elle traverse, elle ne peut
dialoguer avec les autres disciplines avant de
résoudre la question de son
identité.
Pour résoudre ce conflit,
Carlos Barros propose une démarche visant à
l'établissement d'un nouveau paradigme. Deux
écueils sont à éviter : la fuite en
arrière qui conduit à refuser
l'interdisciplinarité et la fuite en avant, car les
sciences humaines ne peuvent répondre aux questions
spécifiquement historiques (historiographiques). En
outre, la construction de ce nouveau paradigme ne peut se
faire autour de la sociologie dans la mesure où
chaque discipline a sa méthode et son propre rythme
de développement interne (son histoire). Dans ce
processus l'élaboration d'un nouveau paradigme
intervient un principe de réalité qui oppose
les sciences humaines et les sciences sociales. Des luttes
ont lieu pour la mise en place de stratégies de
connaissance, pour la captation des ressources publiques,
pour le marché éditorial.
Pour Carlos Barros, les conditions
préalables à l'apparition d'une
interdisciplinarité ne sont remplies que lorsque
chaque discipline défend son propre territoire (et
Carlos Barros de citer F.Braudel et l'impérialisme de
certaines disciplines). L'interdisciplinarité devrait
se réaliser en quatre directions : 1) une
interdisciplinarité à l'intérieur de
l'histoire, afin de renouer le dialogue entre les
différentes périodes et
spécialités ; 2) une
interdisciplinarité accrue avec les humanités
(littérature, philosophie,
)
consécutivement au développement d'une
nouvelle histoire narrative ; 3)
l'interdisciplinarité avec les sciences de la nature,
le dialogue avec ces sciences n'a pas eu lieu dans le
passé et reste embryonnaire, mais offre de larges
possibilités ; 4) un dialogue avec l'histoire de la
science.
Selon Carlos Barros, cette
démarche est le gage d'une histoire plus
théorique.
Journée
d'études : exposé de Carlos Barros
Répondant au document
élaboré par le Département d'histoire,
"Interrogations sur l'acte d'écriture de l'histoire.
Synthèse des questions des participants ", Carlos
Barros a intitulé son exposé "
L'écriture de l'histoire est-elle finie ? ". Il a
développé la thèse selon laquelle, loin
d'être finie, l'écriture de l'histoire
était en pleine recomposition.
La crise que traverse l'histoire,
actuellement, a produit un retour en force d'une attitude
visant à se centrer sur l'analyse des sources. En
effet, un métier quel qu'il soit ne peut demeurer
dans le doute. Aussi, le travail sur les sources a
été un premier type de réponse
élaboré par certains historiens, qui a fait
disparaître le doute. Toutefois, d'un point de vue
théorique, selon Carlos Barros, nous sommes
arrivés à un moment où il faut
rationaliser la théorie et la pratique, qu'il exprime
par une première alternative : soit retourner au
positivisme, soit développer une nouvelle " nouvelle
histoire ". Or cette alternative serait une fausse
alternative. Un retour au positivisme ne va pas
résoudre la situation de crise que traverse
l'histoire car la société du XXIème
siècle n'est pas celle du XIXème
siècle. Il n'est pas possible, non plus, de faire
table rase de la critique post-moderniste. Aussi, Carlos
Barros propose d'établir une synthèse entre
positivisme et " nouvelle histoire ".
La question de l'écriture de
l'histoire est la question épistémologique la
plus importante depuis Ranke. Une seconde attitude qui s'est
développée parmi d'autres historiens revient
à développer une histoire plus
romancée. Or, considérer qu'il n'y a pas de
différence entre histoire et fiction, que l'histoire
est la même chose que la fiction, c'est marquer la fin
de l'histoire scientifique, de l'histoire professionnelle.
Dans ce cas, l'histoire ne traverserait pas uniquement une
crise épistémologique, mais aussi une crise
sociale. Pour Carlos Barros, écrire un roman alors
que l'on est Professeur d'histoire est une démarche
schizophrénique. L'institution universitaire ne va
pas rémunérer quelqu'un à écrire
un roman.
Carlos Barros propose, face aux
réactions provoquées par rapport à ce
qu'il nomme le retour de l'histoire au roman, de
dépasser les préjugés face à
l'histoire-récit. Différents
éléments constituent les composants de ces
réactions : la formation initiale de l'historien qui
est positiviste ; l'influence de la " nouvelle histoire "
(mais, il faut souligner que les représentants de la
" nouvelle histoire " comme J. Le Goff effectuent
actuellement un retour vers l'historiographie
traditionnelle, comme le montre son " Saint-Louis ") ; le
fait qu'un retour en arrière n'est pas neutre
idéologiquement.
Pour Carlos Barros, il s'agit alors
de transformer ce retour en arrière en retour en
avant, et pour cela accepter quelques principes de la
narrativité. Tout ouvrage historique est de toute
façon narratif. Depuis Aristote, White et Ricoeur,
nous savons que l'histoire fait partie de la
Poétique. Elle est éléments de
réalité traduits par des mots. Le moment
décisif est celui de l'écriture, l'acte
d'écriture. Car il est au cur de la recherche.
Une question se pose alors, l'historien est-il plus mauvais
narrateur que l'écrivain, plus maladroit lorsqu'il
utilise des éléments propres au récit ?
Pour Carlos Barros, il faut critiquer White lorsqu'il
demande de " combler le vide " par la narritivité,
par le développement du paradigme narratif. Car, dans
ce cas, cela reviendrait à accepter le fait que
l'histoire est une proto-science. Par contre, la position de
Ricoeur, moins impérialiste, est plus
intéressante. P.Ricoeur, en étudiant
l'histoire de l'histoire, abouti à l'idée
selon laquelle l'histoire n'est pas comme la fiction,
l'histoire est un récit demi-vrai. Ce qui ouvre de
plus grandes possibilités. La narrativité de
l'histoire n'empêche pas que le récit
historique puisse être explicatif et
scientifique.
De cette position découlent
pour Carlos Barros plusieurs lignes d'action : d'une part
accepter les succès du roman historique et les
combattre avec les armes de ce dernier, en montrant que la
réalité peut dépasser la fiction et en
usant de nouveaux moyens d'expression comme les CDRom.
L'enjeu est de reconquérir un public capté par
le roman historique. D'autre part, en explicitant le
rôle de l'historien comme narrateur. Enfin, en
dépassant la séparation positiviste
objet/sujet, en explicitant le rapport entre les
thèmes de recherche et la vie
privée.
Invité à
réagir à cet exposé, le Professeur
Gilmont, a centré son intervention sur le rapport
histoire/roman historique en se basant sur sa pratique
personnelle puisque, comme il l'a rappelé, il a
écrit un roman historique. Pour J.F Gilmont le roman
historique est plus vrai qu'un récit historique car
il peut donner l'impression de la vie. Trois aspects
différencient roman et récit historique. Le
récit historique est basé sur des
données et leur collecte. Mais, elles peuvent faire
défaut, tandis que dans le roman l'imagination peut y
suppléer. Le narrateur est plus distant quand il fait
de l'histoire, distance créée par le recours
rassurant à la bibliographie la plus complète
possible. Enfin, il est de règle en histoire de
récuser l'intervention d'affects dans le récit
historique, de fonder son travail sur des données.
Or, les pulsions affectives interviennent.
L. Courtois intervenant pour
l'histoire contemporaine, a basé son commentaire sur
le document élaboré par le Département
d'histoire "Interrogations sur l'acte d'écriture de
l'histoire. Synthèse des questions des participants
". Il a insisté sur la démarche historique
fondée sur la critique. Il a rappelé que
l'histoire était le fondement d'un certain humanisme.
Enfin, il a abordé la place de l'écriture qui
constitue l'activité existentielle de l'historien et
fait de l'histoire une discipline
d'interprétation.
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