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Vers où souhaitons nous mener l'histoire?*

 

 

Carlos Barros

Université de Saint-Jacques de Compostelle

                                                                                                                                                                                                                                                                       

Engagement et réalités..., Pouvons-nous réellement, nous, les historiens, avoir une influence sur l'histoire à venir? La réponse à cette question est double: faible, si nous prenons comme référence l'histoire des évenements, mais grande s'il s'agit de l'histoire qui s'écrit, de l'histoire que nous les historiens faisons. Notre façon d'influencer l'histoire des gens qui nous entourent, donc, c'est en l'écrivant.



Fréquemment, l'historien s'interroge sur la façon d'exercer son travail: Vers où se dirige l'histoire? De toute évidence, il s'agit d'une question pertinente. L'histoire écrite est, principalement, le résultat involontaire, voire même imprévisible, d'une infinités d'initiatives d'historiens individuels, d'historiographies spécialisées et nationales, d'influences externes de type culturel, social, politique. Pour savoir vers où se dirige l'histoire des historiens il faut appliquer, cependant, la volonté, en focalisant notre attention sur l'historiographie. L'essor de celle-ci, ces dernières années, indique que nous, les historiens essayons de contrôler notre histoire, de mieux connaître nos origines et évolution en tant que professionnels de l'histoire. L'étape suivante est d'oser poser la question suivante: Vers où souhaitons nous que se dirige l'histoire?. Ce qui nous amène à faire des propositions, à projeter des alternatives, en essayant de passer de spectateurs à acteurs de notre destin,  en sachant qu'il y aura toujours, entre nos objectifs historiographiques et leur concrétisation, des différences. Nous sommes justement conscients de cela parce que nous sommes historiens, et nous sommes chaque fois plus nombreux à démentir que l'histoire est un processus en marge de la volonté humaine, et encore moins en ce qui concerne l'historiographie: il est, évidemment, plus facile de varier la façon d'écrire l'histoire que l'histoire elle même. Il serait, par conséquent, superflu d'attendre que change la société pour que change l'écriture de l'histoire, qui est fille de son temps mais avant tout - ou plutôt doit être- fille d'elle même. En bref, nous proposons, que la communauté des historiens mette en jeu sa volonté collective afin de réorienter sa pratique; pour cela il est auparavant nécessaire de recomposer le consensus, en fuyant aussi bien du volontarisme qui ne tient pas en compte la réalité que de l'attentisme, celui qui attend passivement de voir de quel côté souffle le vent historiographique avant de se situer. La vérité c'est qu'aujourd'hui le problème se trouve plus dans le second cas que dans le premier. Dans la conjoncture actuelle, il est plus "dangereux" pour le futur de la profession d'attendre Godot, "plongés" dans l'incertitude et/ou l'éclectisme, en laissant passer le temps dans l'espoir que l'éclipse des paradigmes du XXème siècle soit provisoire 1, que de s'engager en avançant des propositions, des solutions, des objectifs, que par la suite la réalité, et nous même à travers le débat, seront chargés comme c'est naturel de juger, de vérifier, c'est à dire, de modifier.

 

En conséquence de la crise des grands, et amplement partagés, paradigmes historiographiques du XXème siècle, l'historien -dans les années 80- a peu à peu repliée sa volonté -collective et critique- de progrès historiographique à l'apport individuel et fréquemment à l'académisme, en revenant souvent aux vétustes certitudes positivistes que "l'histoire se fait avec des documents" et point final. Le fait que nous devions ici et maintenant de nouveau définir,  à la fin du siècle des extrêmes , le rôle de la volonté dans le devenir de l'histoire, c'est à dire, l'histoire que nous voulons2,  n'est rien d'autre qu'un symptôme-effet du retour du sujet historique, historiographique et de l'historien en tant que sujet collectif. Retour que nous devrons stimuler au maximum sans oublier la réalité historiographique, qui néanmoins bouge...

 


Les jugements sur la situation de l'histoire professionnelle à la fin du siècle sont habituellement polarisés autour de deux attitudes: soit on insiste sur la crise d'identité, épistémologique, de l'histoire scientifique; soit on met l'accent sur le fait que nous vivons une étape de croissance qui se reflète à travers la prolifération de publications et revues. A notre avis, les deux appréciations ont une base objective. Cela veut-il dire que nous sommes face à la typique crise de croissance? A la fin des années 70 et au début des années 80,  peut-être, mais non après: la crise a rapidement commencé à affecter les fondements

 


scientifiques de notre discipline3. Nous pensons que l'explication est autre: crise et croissance coexistent car nous sommes dans un processus de transition historiographique, de changements de paradigmes4. La vitalité de la discipline tend à remplacer5 les vieux paradigmes par d'autres nouveaux. De façon que la Nouvelle Histoire (influencée par l'Ecole des Annales, le marxisme et même par la cliométrie américaine) ne disparaît pas, mais vieillie. Voyons quelques exemples des consensus qui, au-delà de la Nouvelle Histoire, surgissent:

 

1) Auparavant, l'histoire économique-sociale était l'histoire scientifique par antonomase et on dénigrait sans pitié les autres optiques thématiques. Aujourd'hui est généralisée l'approbation de (presque) toutes les spécialités historiographiques. De l'histoire des mentalités ou socio-culturelle jusqu'à l'histoire politique, peu de thèmes - ou coordonnées spatiales et temporelles- restent en marge d'un traitement scientifique. Si nous prenons le temps d'y réfléchir, nous conclurons tous que nous sommes face à un changement paradigmatique réellement radical.


2) Les genres traditionnels (biographie, histoire politique, histoire narrative, histoire des institutions, histoire militaire, histoire diplomatique, etc..) reviennent triomphalement dans l'historiographie internationale après avoir été combattus, durant des décennies, par les nouveaux historiens de l'économie et de la société. Bien que pour certains les retours signifient la mort de l'histoire-science et la renaissance de l'histoire comme discipline littéraire6, pour d'autres, les retours -dans des conditions déterminées- peuvent signifier un progrès historiographique7, ce qui nous ramène au point antérieur.

 

Les foyers de résistance à un nouveau consensus sur les thèmes et styles de l'histoire traditionnelle se réduisent, surtout quantitativement.

 


3) Face au déterminisme simple des faits historiques par l'instance économique-sociale8, il existe depuis longtemps une réaction historiographique qui tantôt complexifie cette détermination, en revalorisant les facteurs mentaux ou politiques, tantôt tombe dans l'indéterminisme simple, abandonnant par conséquent toute prétention explicative causale, position extrême de peu d'influence et futur (tout du moins pour des historiographies comme l'espagnole). Réaction générale anti-déterministe qui explique de même ces deux consensus émergent déjà cités.

 

4) L'essor récent de la réflexion historiographique et méthodologique - et à un moindre dégré l'histoire théorique- manifeste également, une notoire variation paradigmatique. Dans le passé, il y eut des apports qualitatifs excellents, mais aujourd'hui l'intérêt pour la pensée historiographique à tendance à s'étendre, à se "démocratiser", en cessant d'être une activité ponctuelle d'historiens "exceptionnels". Et nous ne croyons pas que cette ouverture à l'histoire de l'histoire, à l'auto-examen des historiens, soit provisoire et simple effet de l'état présent critique de l'histoire, sinon qu'il s'agit d'un phénomène permanent, un composant vital du nouveau paradigme en formation.

 


Le problème le plus important auquel nous nous affrontons est que ce changement de paradigmes s'effectue  sans débat, plutôt spontanément- c'est pour cette raison que nous devons continuer de nous poser la question suivante, vers où va l'histoire?-, à travers trois directions: A) Rendements décroissants de lignes déterminées de recherche qui nous poussent à rechercher de nouveaux thèmes et de nouvelles approches; ce qui fut le cas de la cliométrie et, en général, de l'histoire économique. B) Influence - souvent invisible- de la société, des valeurs sociales dominant à tout moment, sur les historiens; par exemple, la montée de l'individualisme et le reflux des mouvements sociaux n'ont-t-ils pas encouragé, dans les années 80, le retour de la biographie -ou de l'histoire de la vie quotidienne et privée- ainsi que le désintérêt pour l'histoire sociale des conflits, révoltes et révolutions? C) L'influence de certaines historiographies nationales sur d'autres - voire même plus importante que l'influence d'une spécialité de connaissance historique sur une autre- qui est particulièrement effective dans des pays comme l'Espagne, avec une forte tradition de dépendance historiographique de l'extérieur. Il est superflu de dire que, si les transformations historiographiques passent normalement inaperçues, si apparaissent des processus objectifs qui évoluent en marge de l'historien individuel (avec la -relative mais réelle- décadence des grandes écoles, il devient principal sujet actif), c'est également dû à la survivance d'habitudes positivistes enracinées qui séparent encore l'historien de l'introspection, de la réflexion, du débat.

 

Notre proposition est la suivante: il faut intervenir collectivement dans la transformation de paradigmes qui est cours, c'est à dire rendre plus conscient le processus de transition de l'historiographie du XXème siècle à l'historiographie du XXIème siècle. Nous sommes convaincus que de tout cela peut résulter un réarmement de l'histoire en tant que projet scientifique et en tant que projet social.

 

La constitution d'un nouveau paradigme n'est pas un phénomène exclusif de l'histoire, elle touche à l'ensemble des sciences sociales et on l'a détectée tout d'abord dans les sciences physiques. Il existe une tendance à identifier ce nouveau paradigme avec le retour du sujet9, cela correspond-t-il à la réalité? Oui, la redécouverte du sujet permet de surpasser le paradigme objectiviste paralysé mais en aucune façon le nouveau subjectivisme engendre un consensus généralisé parmi les historiens, une nouvelle étape de "science normale", ce n'est ni plus -ni moins- qu'un coup de pendule, nécessaire mais insuffisant pour résoudre les anomalies qui ont mis en crise la science historique du XXème siècle.

 


La conscience des insuffisances du paradigme structuraliste et économiciste dominant a amené -nettement dans les années 70- les écoles française et anglaise à récupérer le sujet comme thème de recherche: mentale, dans le cas des Annales, et sociale, dans le cas de Past and Present. L'histoire, en mettant en pratique de bonne heure ces axes de recherches chargées d'une forte dose subjectiviste, a donc devancé la sociologie et la philosophie. Malgré tout, il faut dire que jamais une histoire purement subjective pourra définir le nouveau paradigme historiographique, c'est à dire, un paradigme qui soit partagé par la communauté internationale d'historiens, par exemple l'histoire économique-sociale (le paradigme le plus suivi de tous ceux qui constituaient les Nouvelles Histoires) après la Deuxième Guerre Mondiale

 

Nous pensons que l'historien professionnel n'acceptera jamais que les résultats de ses recherches ne soient rien d'autre que des projections de sa subjectivité,


 mentale, politique ou sociale10, un autre problème est, donné un rôle important dans le processus objectif de connaissance à la connaissance non basée sur des sources, à l'historien en tant que sujet épistémologique. On ne peut -ou plutôt, on peut mais nous pensons qu'il n'y à aucune chance que cela soit assumé par la majorité- confondre la réalité historique avec ses représentations mentales ou sociales, d'autre part une partie très active de celle-ci . Nous dirions de même du discours textuel qui forme d'une certaine façon le réel mais qui ne le substitut pas, comme l'affirment les partisans les plus radicaux du "tournant linguistique". En fin de compte, l'historien ouvert -celui qui ne l'est pas, rejette pleinement les innovations en les qualifiant de "modes"- ajoute systématiquement l'objectivité du social aux apports de l'histoire plus subjective, cherche la synthèse objet-sujet: l'option donc la plus sure et probable pour la conformation du nouveau paradigme.

 

Le retour du sujet constitue, par conséquent, un moment essentiel de la transition paradigmatique, c'est la réponse radicale -destructive- des sciences sociales à l'absolutisme de l'objectivisme et du scientifisme longtemps dominants, mais ce n'est pas la fin de la construction du nouveau paradigme. La phase décisive de la synthèse, celle réellement constructive, a déjà commencé , et non seulement en histoire.

 


Que devient sinon l'évolution récente de l'historiographie de type subjectiviste? L'histoire des mentalités,  "abandonnées" par leurs créateurs français en faveur de leurs -jusqu'à un certain point- prolongations , l'anthropologie historique et la nouvelle histoire culturelle, si elle a un futur c'est certainement en tant qu'histoire sociale des mentalités11. La nouvelle histoire culturelle se présente comme une histoire socio-culturelle. La microhistoire se diffuse, hors d'Italie, plus dans la lignée de recherche sur les réseaux sociaux (Giovanni Levi) que d'études sur des microcosmes individuels: (Carlos Ginzburg: Menocchio, Piero della Francesca). L'histoire des femmes , selon nous, sera assumée par l'ensemble de la communauté d'historiens dans la mesure où elle se fusionne avec l'histoire sociale et globale12. On pourrait dire de même du "tournant linguistique"13. D'un autre côté, les derniers retours subjectifs, les genres traditionnels, vont dans la même direction: la nouvelle histoire politique  (et des institutions) intègre l'histoire sociale en tant qu'histoire du pouvoir. La nouvelle histoire narrative rejette le descriptivisme, se veut scientifique et explicative. La nouvelle histoire biographique prétend prendre ses distances par rapport à ce qui est purement individuel, ce qui inclut les contextes sociaux et mentales en tant que partie primordiale de la recherche.

 

A partir du milieu des années 80, de la même façon que se diffusent entre les historiens les innovations subjectives issues de la crise des histoires économiques et sociales classiques, de nouvelles synthèses sont engendrées avec ces paradigmes plus partagés et diffusés par l'Ecole des Annales et le matérialisme historique14.Comme nous l'avons souligné auparavant, cette tendance est la décisive, face à la formation du nouveau paradigme15 historiographique.

 


Dans cette triple convergences de la Nouvelle Histoire de l'après-guerre avec ces derniers développements qui est contredite dans un certain sens16, par une histoire traditionnelle renaissante17 et par la redéfinition du propre concept de science (grâce, également, aux avances de l'histoire de la science), qu'apporte le déjà vieux paradigme commun des historiens du XXème siècle? Que faut-il au nouveau paradigme de la Nouvelle Histoire pour initier une autre période de "science normale", pour fermer -pour l'instant- la crise d'identité de notre discipline, pour reconstruire sur de nouvelles bases la communauté d'historiens? Sont-elles suffisantes, les rencontres partielles qui de façon plutôt spontanée se produisent entre l'histoire sociale -structurelle- et l'histoire subjective? Nous soutenons que non,  il reste à faire la synthèse générale entre les courants qui ont joué un rôle dans la révolution historiographique du XXème siècle et les nouvelles-vieilles tendances qui annoncent le XXIème siècle, dont la mise en pratique nécessite une intervention consciente, un débat général qui clarifie les alternatives et les chemins à suivre. Il y a trois paradigmes, de l'Ecole des Annales et du matérialisme historique, dont -reformulation radicale au préalable- le nouveau paradigme a besoin , selon nous, pour se concrétiser comme tel, pour être  hégémonique -et non d'avant-garde- et pour qu'à travers lui l'histoire renouvelle sa crédibilité scientifique et sociale:

 

a) Le concept et l'expérience accumulée de l'histoire sociale. Certainement une nouvelle histoire qui assume le rôle de la mentalité et de la politique, du genre et du langage, de l'événement et de l'individu et qui est reliée avec l'historiographie marxiste anglaise, sans aucun doute le meilleur apport de l'histoire sociale à l'historiographie du XXème siècle18.

 


Prenons un exemple actuel, proche aux espagnols, où l'histoire  faisant abstraction de ce qui est social perd lamentablement rigueur et crédibilité. Nous vivons un inhabituel intérêt des moyens de communication pour la transition démocratique espagnole, qui a suscité de nombreuses critiques parmi les historiens et les protagonistes mécontents de la façon dont a été traité par les journalistes - en particulier Victoria Prego sur TVE- un fait historique qui est décrit comme étant l'oeuvre de quatre ou cinq grands individus - une sorte de grande conspiration- , faisant disparaître de la scène, par conséquent, le million et demi de personnes qui pourrait avoir participé -en même temps- aux mobilisations de masses contre la dictature19, restant hors de l'histoire: la société, les classes sociales, la conjoncture économique, la lutte  idéologique et culturelle, etc. Nous revenons ainsi à l'histoire des grandes batailles et des grandes personnalités, il ne manquait plus que le tambour, le clairon et "l'unité de destin dans l'universel" de l'époque de Franco, est-il nécessaire d'inventer de cette façon -sans les historiens sociaux- la tradition démocratique?, est-il bon pour la jeune démocratie espagnole de donner une version si élitiste et si éloignée du peuple - du peuple qui a lutté- de sa conquête?

 


Le nouveau protagonisme des journalistes qui n'est pas étranger au repliement des historiens et d'autres secteurs intellectuels, vers l'académie dans l'écriture de l'histoire immédiate et dans la divulgation de l'histoire, conjointement au retour académique de l'histoire événementielle et biographique, ouvrent de nouvelles possibilités à l'histoire à condition que celle-ci ne se convertisse pas à nouveau en histoire superficielle, "l'histoire historisante" que Bloch et Febvre avaient déjà mise en déroute dans la première partie du siècle qui s'achève. Pour conjurer ce qui a été cité antérieurement et afin que les "retours" ne nous ramènent pas au XIXème siècle20,  l'histoire sociale est par conséquent toujours indispensable, une histoire sociale rénovée qui, d'ailleurs , est en marche, à partir de la meilleure tradition anglo-américaine(Thompson, Samuel, Genovese, David, Stedman Jones...)21 et dernièrement à partir des propres résultats du tournant critique des Annales22.

 

b) Le principe de globalité face à la fragmentation galopante de notre discipline. Nous avons dit au début que nous ne nous interrogions pas sur la vitalité de l'histoire professionnelle, et nous avons souligné le caractère paradoxal de la situation présente -crise et croissance-, et bien, autre exemple, face au phénomène de super spécialisation et émiettement de méthodes et thèmes, nous assistons à un mouvement dans le sens contraire -bien qu'encore faible- de réunification de genres, comme nous l'avons déjà auparavant commenté en parlant du penchant

 des histoires subjectives à abonder  dans le même sens, avec des lignes plus objectives de recherche, que l'histoire sociale plus que l'histoire économique.

 


L'échec de l'histoire totale en tant que paradigme partagé - le plus ambitieux et le moins appliqué- de l'école des Annales et du matérialisme historique23 , causé aussi bien par le concept sous-jacent (idéaliste) de totalité que par l'inadéquation des moyens (métaphores mécanicistes) par rapport aux buts recherchés , laisse un héritage problématique à l'historiographie du XXIème siècle. La crédibilité scientifique du nouveau paradigme (à moins que nous nous reportions au positivisme de Ranke, ou plus loin encore, à l'histoire-fiction) dépendra, entre autres choses, de sa capacité à articuler un pacte entre l'inévitable spécialisation et la globalisation de son objet de recherche; ce qui, à son tour, exige une plus grande attention à la méthodologie, l'historiographie et à la théorie de l'histoire: " l'historien futur réfléchira..., ou n'existera pas"24.

 


3) La fonction sociale de l'histoire ou le compromis de l'historien avec un présent sans futur. Le recul de l'histoire -concrètement en Espagne- dans les plans d'éducation et la recherche est une conséquence du manque de conscience -hors et voire même dans le cadre historiographique- sur l'utilité sociale de l'histoire. Reprendre le vieux paradigme c'est aujourd'hui une tâche que l'on ne peut ajourner afin de contribuer, à partir de l'histoire, à ce que la société de l'information que Bill Gates nous annonce ne soit pas le monde déshumanisé de Orwell. Or, le présentisme environnant, l'idée que demain sera égale au présent, que le passé n'a aucun intérêt et que l'histoire est arrivée à sa fin, nous oblige à varier l'ordre des facteurs dans la vieille relation passé/présent/futur: il faut étudier le passé pour conquérir le futur et comprendre ainsi mieux le présent, afin de le transformer. La critique essentielle à présent c'est de démontrer ici et maintenant, en tant qu'historiens, que le futur existe. Et il ne s'agit pas que nous, les historiens, nous transformions en prophètes ou devins, ni même de contribuer à une transformation sociale, sinon  de quelque chose de plus simple: aider à ce que l'homme et la femme d'aujourd'hui voient clairement qu'il existe des futurs alternatifs, que le futur existe parce que le passé existe , et nous, nous le savons mieux que personne.



     1Dans les premières lignes de  El dieciocho Brumario de Luis Bonaparte (Barcelone, 1968, p.11), Marx a corrigé Hegel en acceptant que l'histoire se répete, mais la deuxième fois comme une farce, il serait plus prudent - a notre avis- de prétendre non tant  à la répétition qu'à la construction de quelque chose de nouveau, avec d'anciennes et nouvelles bases.

     2 De cette façon nous complétons un travail antérieur: "La historia que viene", Historia a debate.I. Pasado y futuro, Santiago, 1995, pp. 95-117.

     3Une des premières voix qui a donné l'alarme fut celle de Lawrence Stone dans "The Revival of Narrative: Reflections on a New Old History", Past and Present, n° 85, 1979.

 

     4Nous employons le terme paradigme non autant dans le sens original "d'exemple" ou "modèle" mais comme le nouveau sens apporté par Kuhn: les valeurs partagées par une communauté de spécialistes.

     5La substitution n'est jamais totale, de la même façon que la nouvelle histoire socio-économique a continué d'être positiviste plus qu'on ne peut le dire, les nouveaux paradigmes conserveront une partie -si possible la plus substantielle- de la nouvelle histoire; plus loin nous exposerons nos idées sur ce sujet.

 

     6Maria de Fátima BONIFÁCIO, "O abençoado retorno da vella história", Historia a debate. III. Otros enfoques, Santiago, pp. 151-156; Francisco PUY, "Discurso historico, discurso forense", Historia a debate. Galicia, Santiago, 1995, pp 51-60.

     7 Jacques LE GOFF, "Les retours dans l'historiographie française actuelle", Historia a debate, III. Otros enfoques, Santiago, 1995, pp. 157-165; Jerzy TOPOLSKY, " El relato histórico y las condiciones de su validez", A. Al-Azmh. Historia y diversidad de culturas, Barcelona, 1984, pp. 147-163.

     8Il ne faut pas dire que les historiographies hégémoniques du siècle qui s'achève n'ont jamais réduit la détermination historique à l'économie, la pratique le dément: la priorité absolue reçue durant des décennies par l'étude de ce qui est économique-social (en mettant en marge les objectifs globales) ce qui reflète clairement l'intime croyance des historiens sur de quelle façon la clé de l'histoire se trouve dans l'étude de la base matérielle.

     9Françoise DOSSE, L'empire du sens. L'humanisation des sciences humaines, Paris, 1995.

     10Le présentisme, dérouté en son temps par la convergence du matérialisme historique/école des Annales/néopositivisme, revient peu à peu à travers même certains anciens défenseurs de ces tendances.

     11Carlos BARROS, "Historia de las mentalidades, historia social", Historia Contemporánea, Bilbao, n°9, 1993, pp. 111-139; "Historia de las mentalidades: posibilidades actuales", Problemas actuales de la Historia, Salamanca, 1993, pp. 49-67; "La contribución de los terceros Annales y la historia de las mentalidades. 1969 -1989", La otra historia: sociedad, cultura y mentalidades, Bilbao, 1993, pp. 87-118.

     12Nous avons déjà posé cette question, le 27 octobre 1995, à l'Université de Santiago, dans une conférence organisée par la A. C. Al-Mundaina: "La historia de la mujeres y el nuevo paradigma".

     13María del Mar GARRIDO, "¿ La historia intelectual en crisis? El giro lingüístico y la historia social frente a la historia intelectual", Historia a Debate.

II. Retorno del sujeto, Santiago, 1995, pp. 201-212.

     14 Même un auteur si peu ami de l'histoire des mentalités comme Josep Fontana cherche cette synthèse dans La historia despues del fin de la historia, Barcelona, 1992, pp. 101-112.

     15Dernièrement, dans les sciences "dures" on tend, également, à la synthèse objet-sujet; exemples: la recherche d'une théorie unifiée aux forces physiques; la découverte de l'ordre dans la théorie du chaos; la réhabilitation des facteurs bilologiques, génétiques, physiques, dans le comportement humain qui obligent à tenir compte aussi bien de la psychologie cognitive que behavioriste; etc.

     16L'histoire française des mentalités et l'histoire sociale anglaise, surtout leurs développements plus récents, sont contenus dans les matrices de leurs repectives traditions, mais, qui sont à leur tour, une réaction à la surimposition sur celles-ci de l'objectivisme, de l'économicisme et le structuralisme dans les années 50 et 60.

 

     17Pour l'Espagne voir Juan Pablo FUSI "Por una nueva historia: volver a Ranke", Perspectiva Contemporánea, n°1, 1988.

     18En deux sens: par l'inclusion de la mentalité et la culture dans les recherches sociales de base (Rudé, Thompson), et par l'importance donnée à l'étude des conflits, révoltes et révolutions, crises et transitions; voir Harvey J.KAYE, The British Marxist Historians. An Introductory Analysis, Oxford, 1984.

     19Selon Santiago Carrillo, une de ces grandes individualités, dans Memoria de la transición, Madrid, El País, p. 35.

     20 De la même façon que le retour du capitalisme dans les pays de l'Est a ramené ces sociétés aux temps du capitalisme sauvage dix-neuvièmiste - en ajoutant celui de Chicago des années 20- provocant une réaction électorale qui amena au pouvoir les ex-communistes, plus ou moins réformés, inclusive en Russie.

     21Julian CASANOVA, La historia social y los historiadores, Barcelona, 1991. des histoires subjectives à abonder dans le même sens avec des lignes plus objectives de recherche, avec l'histoire sociale plus qu'avec l'histoire économique.

     22Bernard LEPETIT, dir., Les formes de l'expérience. Une autre histoire sociale, Paris, 1995.

     23La preuve de l'échec de l'histoire totale se trouve dans la fragmentation actuelle, l'inexistence de l'histoire totale en tant que ligne de recherche et l'abandon de ce paradigme par un grand nombre de ces antérieurs protecteurs.

     24Thèse 13 de " La historia que viene", Historia a Debate. I. Pasado y futuro, Santiago, 1995, pp. 111-112.

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